Le Projet
LABORATOIRE DE RECHERCHE SUR LA RÉCEPTION DRAMATIQUE
Continuer à affirmer que le Midi/Minuit est un espace de rencontre. Le faire avec les yeux de notre temps. Se dire cela à partir d’il y a vingt ans. Le Midi/Minuit est un espace minuscule où il ne rentre de fait que des singularités. En effet tout le monde voit tout le monde. Il est le témoin d’une crise du vivre ensemble. Ici c’est calme parce que dehors ça tape. Moi je veux tailler des costumes à l’espace. Donner au Petit 38 des étoffes qui lui donnent des airs d’ailleurs. Faire de ce lieu une rencontre entre l’art dramatique et le monde. Tout cela dans un esprit joueur. On va jouer au théâtre sur mesure.
Par exemple, vous passez devant la vitrine du Midi/Minuit et vous voyez des boites de conserves bien rangées. Vous entrez dans ce « simulacre d’épicerie » et c’est le théâtre que l’on vous donne en boite de coulis.
Ce travail là est dans une tradition immersive du théâtre. Donner au lieu les peaux scénographiques que m’évoque le monde. Ce serait un point de chute du monde, ce qu’il me reste incrusté dans la rétine je le mets dans l’espace et puis que ça vive !
C’est cette épaisseur spatiale qui est fondamental ici.
Peter Zumthor définit l’atmosphère comme « La sensation de ce qui est là ». La fulgurance au théâtre est une histoire d’atmosphère. Se sentir en vie et ensemble dans la sensation de ce qui est là. Je cherche à travailler l’espace au rythme de pulsations, alors ici il y aura de la cavalcade et du sommeil. On sera juste des voix et rien d’autre. Ou bien des corps et c’est tout. Ou bien les deux. Et puis demain on sera autre chose. On va jouer au magasin, au commerce. Celui qui ne sera jamais rentable. On est farce de la vente, et les prix font mourir de rire. Et on fermera boutique quand la plaisanterie sera tiède.
Qu’on fasse du Midi/Minuit la vitrine d’un cri simple et efficace. Celui de la lutte à dire sans mentir. Essayer de dire l’amour, l’amour à l’art, à la liberté, à l’Autre qui me fatigue parfois. Parce que ce n’est pas tous les jours qu’on y croit. Pas mentir. Dire qu’on n’y croit pas toujours mais au moins faire du Midi/Minuit la Parade, celle du cirque. La parade qui amortit la chute et qui la rend ridiculement drôle. Genet disait du théâtre « Fragile. Instable. Incassable ». Comme le funambule bien sûr.
On fera venir des gens dont la langue nous est inconnue. Et finalement pas que la langue, le fond des yeux aussi. Et puis ce qu’ils feront j’en mets ma main à couper, ça nous paraîtra aussi intime qu’un baiser volé. On se sent proche des lointains et ces gens-là dévasteront nos gueules comme des grands vents. Ca va être bon.
Ouvrir de Midi à Minuit. La lumière est allumée et si elle est éteinte c’est fait exprès. Aujourd’hui c’est une épicerie, on a renommé pour l’occasion, ce sera le « 38/38 7jours sur 7 ». Demain on appellera le lieu le 38 et 1/2, parce que c’est une boutique de chaussures pour un mois. On s’y fait cirer les pompes en écoutant quelqu’un vous raconter l’Ulysse de Joyce. Et puis si vous restez jusqu’à 20h c’est bal, parce que les chaussures vernies c’est bien pour les bals, ça fait briller l’âme.
Que les passants s’arrêtent et reviennent par curiosité. Que d’autres viennent par habitudes « alimentaires », c’est bien. Et que ça change de gueule pour que rien ne se fige. Et dans ce mouvement les artistes sont invités à prendre place. Qu’ils soient eux aussi déstabilisés par le mouvement continu, qu’ils sautent d’un pied sur l’autre. Comme ça, pour pas perdre la pulse.